Alexandre Collinet : « Rencontrer ses collègues, échanger avec eux… c’est encore la meilleure manière de fidéliser les talents »

Interview

Alexandre Collinet est depuis 9 ans Directeur Général Adjoint de Leboncoin, en charge des questions RH et financières. En quasiment une décennie, il a vu l’effectif de son entreprise être multiplié par 100. Ce fan de rock et du PSG nous explique comment Leboncoin a conservé sa culture d’entreprise malgré sa forte croissance.

Photographie d'Alexandre Collinet

Alexandre Collinet

Quelle est la « recette » pour transmettre votre culture d’entreprise malgré votre forte croissance en effectifs ?

Il y a 9 ans, nous étions 9. Aujourd’hui, nous sommes 900. Pour conserver une unité, il faut que les gens se rencontrent. Nous avons banni les machines à café à tous les étages au profit de deux grandes cafétérias-bar autour desquelles s’organise la vie de l’entreprise. Elles servent de « place de village » sur laquelle tout le monde peut se retrouver.

Nous sommes également entièrement en environnement dynamique.

Mais ce n’est pas du flex office sauvage : nous sommes organisés par points d’ancrages / zones métiers. L’environnement dynamique permet de beaucoup plus se parler, plus d’agilité et d’avoir un accès direct à la direction. Cela laisse aussi plus de place pour des bulles, des agoras (nous en avons deux), des espaces de réunion…

Quand on essaye de recruter des profils pénuriques (développeurs…), on finit systématiquement par une visite des locaux et un tour sur le rooftop même si la vraie motivation vient toujours des missions. Ça contribue à faire pencher la balance en notre faveur.

« Il faut vraiment laisser les collaborateurs s’emparer de la culture d’entreprise. Ce sont eux qui la font vivre, l’enrichissent et la perpétuent.

La proximité est une de vos valeurs. Comment la fait-on vivre au quotidien ?

C’est un vrai parti pris managérial. Quand je suis arrivé, il y a neuf ans, il n’y avait que des techs. Autant vous dire que le profil gestionnaire / financier ne faisait pas rêver. Je me suis intégré par la musique : on a formé un groupe où je jouais de la guitare. On m’a surnommé « DAF Punk ».

On a gardé cet esprit. Vous avez des gens qui se regroupent par passion et on encourage les initiatives spontanées. Lorsque le CE a été créé, j’ai insisté pour que nous mettions la priorité sur les initiatives collectives plutôt que sur les chèques cadeaux. Aujourd’hui, vous avez des groupes qui s’entraînent les midis. On leur a acheté du matos pour pouvoir répéter (amplis…). Vous avez aussi des gens qui organisent des cours de boxe, des séances de films nanars, etc. Il faut vraiment laisser les collaborateurs s’emparer de la culture d’entreprise. Ce sont eux qui la font vivre, l’enrichissent et la perpétuent. Le digital vient en appui de tout cela. Sur Slack (NDLR : réseau d’entreprise), nous avons des groupes par passion (jeux de rôle, métal…) qui font vivre ces communautés et ces événements.

Pour éviter que les gens restent en circuit fermé, on organise aussi des « lunch dating » par inter-équipes, dans les restos du quartier, ça leur permet de se mélanger avec des personnes avec qui ils n’auraient pas discuté autrement. Rencontrer ses collègues, échanger avec eux… c’est encore la meilleure manière de fidéliser les talents.

Je crois aussi qu’il faut garder le lien avec la direction. Tous les 15 jours, on organise un petit déjeuner d’intégration avec les nouveaux fraîchement arrivés et le Comex. Et tous les mois, on a un petit déj’ entre 8 personnes qui s’inscrivent et un membre du Comex. Ça nous permet également à nous, dirigeants, de garder les pieds sur terre.

Il faut vraiment laisser les collaborateurs s’emparer de la culture d’entreprise. Ce sont eux qui la font vivre, l’enrichissent et la perpétuent.

Environnement de travail dynamique

« Cela fait deux ans maintenant que nous avons emménagé dans les anciens locaux de BETC (rue du Faubourg Saint-Martin). Pour choisir la localisation de nos futurs bureaux, nous avons mappé les adresses de tous nos collaborateurs. Ça a donné un triangle Gare du Nord - Les Halles - République. En plus du siège, nous avons deux autres bâtiments qui accueillent des collaborateurs. Nous avons fait en sorte que chacun soit à moins de 10 mn à pied des autres afin que nos salariés puissent malgré tout continuer à se croiser. »

Agora et bulles de travail

« Nous avons longtemps été réfractaires au télétravail. Une de nos valeurs, c’est la proximité. Or, le télétravail vous éloigne de vos collègues et délite la culture d’entreprise. Si on veut conserver cette culture, surtout quand vous faîtes 100-120 recrutements par an, il faut que les anciens soient présents physiquement pour partager leur expérience.

Lorsque Marissa Mayer est entrée chez Yahoo, elle a rappelé tous les gens qui étaient en télétravail. C’était la norme dans l’entreprise et c’était catastrophique pour sa performance. C’est primordial de pouvoir rencontrer physiquement ses équipes. À titre personnel, on m’a un jour proposé un poste de DG, très bien rémunéré. Mais loin de chez moi. On m’a suggéré de faire du télétravail 2-3 jours par semaine. Mais comment peut-on être DG à distance ? Il faut pouvoir voir les gens qui travaillent avec soi quand on est dirigeant ! J’ai refusé.

Nous avons interdit le télétravail jusqu’au 1er janvier de cette année 2019. Aujourd’hui, même si on l’a autorisé, il est très encadré : vous pouvez télétravailler uniquement le mardi ou le jeudi et pas plus d’un jour dans la semaine. »