Clarisse Toutée, Partner Egon Zehnder : « Si les Français se disent encore attachés au ‘prestige de l’adresse’ les Allemands valorisent davantage l’aspect pratique »

Interview

« Si les Français se disent encore attachés au ‘prestige de l’adresse’ les Allemands valorisent davantage l’aspect pratique »

Partner du cabinet Egon Zehnder, Clarisse Toutée conseille les entreprises en matière de recrutement et de développement de cadres dirigeants.

Quels sont les signaux que vous notez dans les attentes qu’ont les dirigeants envers leurs bureaux ?

L’adoption du télétravail ayant été pérennisé pour deux voire trois jours par semaine dans beaucoup d’entreprises post crise Covid, les décisions de réductions de mètres carrés et de réagencement des espaces de travail par certains dirigeants ne se sont pas fait attendre. Elles ont constitué un levier formidable d’optimisation des coûts dans un environnement économique « incertain ». Dans certains cas, elles ont pu répondre aux nouvelles attentes de dirigeants et de collaborateurs en matière d’utilisation des bureaux (réductions du nombre de bureaux individuels au profit d’espaces partagés conviviaux agrandis, relocalisation des bureaux dans le centre de grandes villes permise par la réduction de m², etc.). Dans d’autres, elles ont pu commencer à menacer l’affectio societatis en limitant la durée d’interaction entre les collaborateurs et en sacrifiant parfois le bienêtre de ces derniers. Dans ce contexte, la qualité et l’organisation des bureaux proposés aux employés, qu’ils soient seniors ou non, est aujourd’hui souvent un des facteurs de décision des dirigeants que nous accompagnons pour rejoindre une entreprise.

En quoi certaines décisions concernant la gestion des bureaux peuvent-elles s’avérer risquées ?

Prenons l’exemple de certaines entreprises françaises, petites ou grandes, dont les leviers importants pour attirer et retenir des collaborateurs sont les valeurs, la culture, le sentiment d’appartenance (parfois plus que les niveaux de rémunérations). Les bureaux et leur utilisation peuvent contribuer au développement et à la préservation de ces valeurs et de cet attachement à l’entreprise. En passant du temps ensemble au bureau, en partageant l’information dans les couloirs, en observant le top management être inspirant au quotidien, la fidélité des équipes se construit et se renforce. Si la venue au bureau est très limitée du fait d’une politique de télétravail extrêmement développée, de la réorganisation des espaces de travail (type flex-office) avec beaucoup moins de postes de travail disponibles que d’employés par exemple, le risque de voir l’attachement de ces derniers à l’entreprise se déliter progressivement peut naitre, ce qui peut conduire à des départs.

Au niveau européen, quelle est l’image de Paris ?

Aujourd’hui Paris est considérée comme une ville très attractive en Europe. Elle est sortie renforcée du Brexit puisque bon nombre d’entreprises – des banques notamment – ont choisi d’y rapatrier une partie de leurs équipes londoniennes (alors qu’au début du Brexit, Francfort avait pu être considérée comme la ville qui « bénéficierait seule » de la relocalisation d’activités et d’équipes de Londres). La beauté de la ville certes mais aussi la qualité de vie, la qualité des infrastructures et des bureaux, l’efficacité des transports en commun, le nombre d’aéroports à proximité, la forte activité économique et d’autres atouts qu’il serait trop long de citer ont contribué fortement à convaincre les employeurs de choisir Paris pour continuer à attirer et à retenir les talents. Le gouvernement français aparticipé à ce succès en communiquant beaucoup en France comme à l’étranger sur les atouts de notre ville-monde et sur la facilité d’obtention du régime d’impatriation, mais aussi en poussant le développement d’écoles internationales pour accueillir les enfants de professionnels venus de Londres.

Quels sont les atouts sur lesquels mise l’Allemagne en matière d’attractivité de leurs bureaux ?

Si les Français se disent encore attachés au « prestige de l’adresse » et au confort de leurs bureaux, les Allemands valorisent davantage leur aspect pratique et leur accessibilité. Du fait de la décentralisation des activités en Allemagne, le fait d’avoir ses bureaux proches d’un aéroport ou d’une gare et de bénéficier d’ une place de parking sont des points très importants pour eux car ils se déplacent beaucoup plus que les Français

Avec le développement économique des villes de province et avec la multiplication des collaborateurs choisissant d’habiter loin des grandes villes françaises tout en « y travaillant à mi-temps » grâce au télétravail, la valorisation des quartiers de gares devrait aussi s’accroitre dans les grandes villes dont Paris : je crois que cela commence d’ailleurs déjà à être le cas.