Jérôme Fourquet : « Les Franciliens, peut-être plus que les autres, veulent travailler au bureau »

Interview

Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et Stratégies de l'Ifop, auteur de l’enquête sur le confinement « En immersion ».

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Comment a évolué la société française dans son rapport au télétravail ?

Nous avons pu observer que le télétravail pendant la période de confinement a été très diversement vécu suivant le niveau de responsabilité, le type d’emploi, et bien sûr, son type de logement et sa situation familiale. Très vite, des limites ont été perçues, ce qui nous fait penser que l’on ne s’oriente aucunement vers une supposée « fin des bureaux », mais bien vers des solutions plus hybrides. Le télétravail était une revendication déjà présente avant le confinement, elle peut se justifier dans certains cas lorsque les temps de déplacement sont longs notamment, mais il n’y a pas de volonté majoritaire dans la population de ne plus se rendre au bureau.

Y aura-t-il un « avant » et un « après » Covid fortement marqué ?

Je suis convaincu que le confinement et le Covid n’ont pas révolutionné nos vies. Nos différentes enquêtes montrent qu’il n’y a pas de basculement massif quels que soient les thèmes. Le télétravail a certes été adopté par une part significative, mais on a vu qu’il avait des limites, et qu’on s’acheminerait vers une solution mixte, hybride, avec la possibilité d’y recourir plus souvent, ce qui est une revendication notamment lorsque les temps de déplacement sont longs, mais pas une volonté majoritaire de ne plus se rendre du tout au bureau. En termes de confort de travail, de lieu d’élaboration d’idées, de convivialité, d’échanges de points de vue, le bureau a démontré toute sa pertinence. D’autant plus depuis qu’on les a retrouvés suite au déconfinement !

La fin des bureaux, ce n’est donc pas pour tout de suite ?

Nous pouvons faire l’hypothèse qu’un certain nombre d’entreprises vont aller un peu vite en besogne dans leur passage systématique au télétravail notamment pour réduire leurs loyers. Manifestement, cela ne correspond ni aux attentes, ni aux aspirations des salariés. Les entretiens que nous avons menés le montrent, les Franciliens sont très attachés à tout l’environnement de travail et veulent pouvoir continuer de travailler du bureau une partie de la semaine. Il y a tout d’abord la cohésion d’équipe, un enjeu majeur pour les salariés comme pour les managers, mais aussi la créativité, le fait de « faire jaillir l’étincelle » de l’intelligence collective, et tout ce qu’un espace de travail nous apporte en matière de productivité. Le travail à la maison au printemps 2020 s’est bien passé mais nous pouvons y voir un leurre : beaucoup de projets étaient déjà en bonne voie, certains ont assuré un service en mode « dégradé », les attentes des clients et partenaires, également en télétravail n’étaient pas les mêmes... Lancer de nouveaux chantiers, faire jaillir l’étincelle créative, ce n’est pas aussi simple lorsque chacun est derrière son écran.

Les 3 atouts du bureau face au domicile

1. La convivialité
2. L’émulation créative
3. La productivité & réactivité

Plus généralement, quels sont les dangers de faire du domicile le lieu de référence ultime, où l’on fait tout venir à soi ?

C’est une pente, une tendance déjà présente, que le confinement et le Covid ont accéléré. Aujourd’hui, c’est Amazon et Deliveroo qui se frottent les mains. Cette peur sanitaire a accentué la tendance au repli sur la bulle privative qu’est le domicile. Si l’on pousse cette logique, nous risquons de voir tous les lieux d’échange réduits à leur portion congrue. Dans une société qui s’individualise de plus en plus, on peut imaginer qu’il y aura une prime aux entreprises qui permettront encore de se retrouver dans des lieux conviviaux, que ce soient les bureaux, leurs services, le quartier…

D’un point de vue individuel, vous identifiez un risque ?

Si demain, on décide que le télétravail devient la règle, les DRH s’exposeront à de graves déconvenues ! La question du burn out monte en entreprise depuis plusieurs années et on peut penser que le télétravail systématisé accentuerait cette tendance. Pendant le confinement, les gens nous disaient « tout compte fait j’ai plus travaillé en télétravail que dans mon environnement habituel ». L’abolition des frontières que représentent les horaires, le flou entre ce qui appartient à la vie professionnelle et à la vie personnelle, doublés du sentiment d’isolement du travail à domicile représentent de vrais risques. Le télétravail oui, mais à dose raisonnable !

Comment voyez-vous l’avenir des bureaux ?

Pour la jeune génération dont la sphère familiale n’est pas encore constituée, fournir des bureaux dans des quartiers attractifs est un plus que peuvent revendiquer les entreprises qui feront le choix de garder des espaces. À partir du moment où certaines entreprises basculent de manière exagérée dans le télétravail, celles qui auront fait l’effort de maintenir des mètres carrés de bureaux, des lieux de convivialité, des espaces de créativité bénéficieront d’un avantage comparatif important. Elles seront à même de dire à leurs collaborateurs : « à l’inverse d’autres entreprises, nous avons à coeur de vous proposer un cadre de travail agréable ».